Interview de Romain Cogitore, réalisateur de “L’Autre continent”

24 juin 2019Anna Marmiesse

Notre série d’entretiens se poursuit avec Romain Cogitore, ancien membre de l’association désormais cinéaste. Son film L’Autre continent est sorti le 5 juin dans les salles françaises (scénario accessible sur notre Scénariothèque !).

L’Autre continent est ton deuxième long-métrage de fiction, un film d’amour et de maladie entre la France et Taïwan. Comment l’idée de ce scénario t’est-elle venue ?

En montant dans un train, j’ai rencontré une femme magnifique – dont je suis immédiatement tombé amoureux. Je me suis contenté de la contempler discrètement pendant les deux heures qu’a duré le voyage. On a finalement réussi à échanger quelques mots, puis nos numéros de téléphone. Et quelques semaines plus tard, au creux de la nuit, elle m’a dit “avant que l’on aille plus loin, il faut que je te raconte quelque chose…” Et elle m’a raconté cette histoire, qui m’a bouleversé, tout en m’évoquant des choses très contradictoires sur l’amour. Et l’Asie, notamment, était présente dès l’origine du projet, dans cette histoire vraie.

Comment se sont déroulés l’écriture du scénario et le développement avec tes producteurs chez Cinema Defacto ?

Après la sortie de Nos Résistances en 2011 (et après l’écriture d’un deuxième scénario signé et entièrement développé qui n’a pu partir en production à cause d’un projet similaire déjà lancé) j’ai débuté l’écriture seul de L’Autre Continent en 2012, avec des synopsis puis des traitements, à chaque fois un peu plus longs – notamment à cause des formats demandés par les différentes aides. C’était une progressivité “forcée” qui s’est révélée particulièrement bénéfique pour avancer. J’ai ainsi déposé et obtenu l’Aide à la Conception du CNC (3 pages) puis la Bourse SACD-Beaumarchais (6 pages) puis la résidence du Moulin d’Andé. Pour le rendu de l’aide à la conception, il fallait un traitement développé, le mien faisait une trentaine de pages, ça a été la vraie première mouture du film.

Ensuite, j’ai attendu d’avoir une v2 de continuité dialoguée pour le faire lire à mes producteurs. La suite du développement a été assez classique : nous avons rencontré un distributeur dès 2013, qui nous a fait part de ses retours, amenant de nouvelles versions, etc. Nous avons été soutenus par le Prix Junior du Meilleur Scénario (ex-Sopadin) la même année. Puis l’arrivée de House On Fire, le coproducteur franco-taïwanais, a impulsé de nouvelles versions, liées notamment aux nécessités taïwanaises.

As-tu été confronté à des avis de lecteurs et/ou de consultants pendant le développement ? Qu’en as-tu pensé ?

Je fais de plus en plus lire mes scénarios, à chaque nouvelle version j’essaie de trouver un “lecteur vierge”. La version de tournage se situe généralement autour de la v15 (ce sont des vraies versions à chaque fois, pour les ajustements plus ponctuels, je ne change pas le numéro de version).

La lecture d’un tiers étranger au projet m’est essentielle, parce qu’elle permet de voir ce qui résonne chez l’Autre, de mieux comprendre son propre projet.

La consultation par contre a un rôle beaucoup plus prescriptif, elle peut être passionnante et très enrichissante – pour autant, c’est important pour moi que ces prescriptions viennent d’auteurs qui en sont déjà passés par l’écriture de long-métrage – tourné, joué, monté et projeté sur grand-écran. Parce que le rapport à l’écriture change radicalement une fois qu’on est passé par cette épreuve du réel. Ce qui explique que j’ai beaucoup plus de mal à suivre les prescriptions de processus créatifs “d’experts”… qui n’ont jamais signé un seul long-métrage. Écrire et réaliser un film reste quand même un périple, où la théorie a ses limites, et où d’autres forces et énergies entrent en jeu – tant au cours de l’écriture, que du tournage – et bien sûr du montage (domaine souvent ignoré à l’étape de l’écriture, alors que beaucoup d’alternatives se préparent dès l’écriture).

Quelles ont été les difficultés rencontrées en termes de production ?

Le financement a été l’étape la plus compliquée. Parce que la partie d’hôpital effrayait, parce que le film n’est ni grand-public, ni cinéma d’auteur pointu. Parce que certains financiers importants étaient intéressés mais voulaient des acteurs très identifiés pour pouvoir s’engager. Cela a donc pris quatre ans pour boucler un financement très modeste, et nous avons pu tourner la cinquième année.

Est-ce que tu dirais que ton expérience de lecteur de scénario t’est utile aujourd’hui en tant que cinéaste ?

Je lis toujours beaucoup : pour des consultations, des collaborations, et pour le jury SACD Beaumarchais auquel je participe régulièrement. C’est une pratique essentielle, qui permet d’être au contact d’univers singuliers, différents, qui s’expriment à chaque fois différemment sur le papier. Et, forcément, cela questionne ma propre pratique. C’est toujours agréable d’être le témoin d’une fulgurance qui advient dès l’étape d’écriture, et c’est aussi utile de repérer certains automatismes, clichés, tendances – que l’on relève moins clairement dans les salles, puisque seule une infime partie de ces scénarios sera tournée.

Quels sont tes prochains projets de scénarios ?

Je suis en train de terminer l’écriture d’un scénario qui s’appelle Une Zone à Défendre, sur lequel ont collaboré mon frère Clément, Thomas Bidegain et Catherine Paillé. Le film raconte la rencontre entre un flic infiltré sur une ZAD et une activiste, avec laquelle il se retrouve à avoir un enfant. C’est le récit de l’impact de cette rencontre, qui bouleversera leur rapport au monde, tant de manière émotionnelle qu’environnementale. On sera quelque part entre le thriller, le romanesque et le film politique.

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