Interview de Tibwa Nzapa, script editor tournée vers l’international
On continue notre série d’entretiens avec des membres de l’association au profil original et intéressant. Aujourd’hui, on ouvre nos horizons avec une lectrice ayant travaillé dans plusieurs pays d’Europe. Tibwa Nzapa est actuellement en formation à la National Film and Television School (NFTS) à Londres et pratique le métier de script editor. Elle nous explique tout !
Anna Marmiesse : Tu as travaillé en Belgique, en France, désormais au Royaume-Uni ! Peux-tu nous présenter ton parcours ?
Tibwa Nzapa : Ma première passion est l’écriture. A 14 ans, j’ai commencé à protéger mes écrits avant d’envoyer mes premiers livres et « scénarios » à tour de bras dans des maisons d’édition et de production à Paris. Car pour moi qui vient de Belgique, Paris, c’est là où tout se passait. Sans grande surprise, j’ai accumulé les refus.
Puis je me suis naturellement tournée vers ma seconde passion : le cinéma. Encore fallait-il trouver quoi y faire. Mon premier choix s’est porté sur l’écriture de scénario mais là encore, l’idée d’être bloquée tant qu’un de mes scénarios ne serait pas choisi par un producteur ne me plaisait pas. Il me fallait faire autre chose en attendant ma chance. Après plusieurs stages à différents postes sur des plateaux de cinéma en Belgique, j’ai réalisé que j’avais des prédispositions naturelles pour l’assistanat de production. Et j’ai exercé ce métier par intermittence pendant à peu près 10 ans, principalement comme assistante de prod plateau.
C’est mi-avril 2016 que l’écriture est revenue dans ma vie. Je devais commencer un nouveau film comme assistante de prod plateau et, en attendant son démarrage, mon producteur de l’époque m’a demandé de lui faire quelques fiches de lecture détaillées. Deux ans plus tôt, en 2014, j’avais découvert le script editing en effectuant un stage chez un producteur. Mais à aucun moment il ne m’était venu à l’esprit que cela pouvait être un métier à part entière. Quand j’ai su que c’était le cas, j’ai assez vite décidé que ce serait mon métier principal désormais.
>Depuis mais 2016, je travaille donc en développement, comme script reader, script editor, et depuis bientôt un an en anglais comme coordinatrice d’écriture sur une série d’animation.
Tu étudies actuellement à la National Film and Television School (NFTS) à Londres, dans le département Script Development. Raconte-nous en quoi consiste cette formation !
La NFTS est pour moi le meilleur moyen d’acquérir toutes les bases solides qui sont nécessaires quand on a l’idée folle de se lancer à l’international. Pourtant, quand j’ai pris la décision de viser ce marché, je n’avais pas la NFTS en tête. Ce qui a motivé ma décision est qu’en Belgique, les métiers de lecteurs, développeurs, script doctors, script editors, etc…n’existent pas réellement. Par contre, plusieurs personnes font des retours sur des scénarios : des producteurs, des réalisateurs, d’autres scénaristes, des distributeurs, etc. Mais ils ne sont pas forcément analystes de métier.
J’étais décidée à ce que ce soit mon métier. Je me suis donc formée pour être crédible face à mes futurs employeurs/clients. Avant la NFTS, ça a d’abord été le CEEA (Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle) où j’ai suivi les formations : lecture de scénario et direction littéraire. Cela m’a ouvert des portes en France et j’ai notamment eu l’opportunité de lire pour le CNC.
C’est en février 2018 que j’ai entendu parlé de la NFTS. J’assistais à la masterclass de Lucy V. Hay, une script editor britannique de talent. Dès que j’ai eu vent de la formation Script Development et de la réputation de l’école, j’ai su que je voulais en faire partie. Cela faisait plus d’un an que je travaillais mon anglais professionnel écrit et parlé pour être à niveau au moment de me lancer sur le marché international. J’ai soumis ma candidature sans y croire…et j’ai été acceptée.
Ce programme forme de futurs développeurs afin qu’ils soient prêts à travailler dans l’industrie une fois le certificat en poche. La formation s’étend sur 16 mois et est divisée en 4 parties : – Lecteur : on vous réapprend à lire et à gérer vos instincts – Développeur : on est formés comme script editor pour la télé et le cinéma – Connaissance de l’industrie : rencontres de différents profils en activité dans l’industrie – Chargé de développement : au cours de cette dernière partie, on nous attribue un auteur et nous sommes chargés de développer son projet de manière professionnelle au cours des 6 derniers mois de la formation.
C’ est le programme de formation le plus complet qui se puisse trouver quand on veut faire ce métier. L’école délivre un certificat international reconnu et recherché dans la profession. C’est une formation très intense et la charge de travail est tout simplement hallucinante. Il y a des travaux officiels à remettre chaque mois, ainsi que des exercices hebdomadaires qui nous obligent à affiner notre analyse. Les formateurs sont des professionnels actifs dans l’industrie, qui nous poussent dans nos retranchements, nous aident à développer notre réflexion au maximum, et surtout, nous forment par la pratique afin que nous soyons aptes à travailler comme professionnels une fois sur le marché. L’école est réputée pour être une des meilleures école de cinéma au monde. C’est une carte de visite incroyable, pour peu que vous soyez un peu débrouillard. Mais l’effet est assez immédiat : lors de mon premier jour à l’école, j’ai commencé à lire pour ma première maison de production britannique.
Le métier de script editor n’est pas vraiment connu en tant que tel chez nous. Comment le décrirais-tu ? Pourrait-on en voir un équivalent en France ?
J’exerce le métier de script editor. Je ne suis pas script doctor, et ne cherche pas à le devenir pour l’instant. J’ai toujours précisé cette différence afin que les employeurs/clients ne soient pas déçus ou induits en erreur. Le métier de script editor n’implique pas de donner des idées et de participer à l’écriture de quelque manière que ce soit. C’est un pur technicien du scénario qui doit savoir de quoi il parle et maîtriser la technique. Il ou elle doit savoir identifier non seulement les problèmes, mais les causes de chaque problème aussi.
En tant que script editor, notre job, c’est l’auteur. Nous leur servons de tremplins et sommes présents pour les aider à améliorer leur projet. D’ailleurs, l’une des règles d’or de notre métier est de ne pas s’attendre à faire du scénario quelque chose de parfait et à mettre la barre très haut pour nous-mêmes, analystes. On perdra les deux : l’auteur et le projet. On est là pour aider l’auteur à améliorer son projet. Comprendre l’histoire que l’auteur veut raconter, comprendre ce qui est important pour lui dans l’histoire qu’il veut raconter, et maintenir cette connexion entre l’auteur et l’histoire jusqu’au bout, afin que le public puisse être touché à son tour…ça requiert de sacrées capacités qui ne se développent qu’avec le temps.
Je ne pense pas que le script editing pourrait avoir une place telle quelle en France, car l’approche du travail et le métier sont tout de même différents. C’est une autre culture. Ce qu’on a de plus proche, ce sont les script doctors.
Vois-tu des différences dans la manière dont sont abordées l’écriture, la lecture et le scénario en général, en fonction des pays dans lesquels tu as travaillé ?
Énormément. Et personnellement, je suis plus fan de la méthode anglo-saxonne. C’est une des raisons qui m’ont poussée à me former pour l’international dès le départ.
Il ne faut pas oublier que nous travaillons pour une industrie dont le cœur est – et doit rester – l’artistique. Néanmoins, c’est un business et les anglo-saxons l’intègrent beaucoup plus dans leur processus du travail. Il en résulte que l’écriture peut être certes plus formatée, mais elle est plus efficace et répond aux critères de l’industrie dès le départ.
Les scénarios que je reçois des anglo-saxons sont majoritairement impeccables en termes de formatage. Car les auteurs savent qu’ils ne seront pas lus s’ils ne suivent pas les règles établies par l’industrie. Et un scénario bien présenté est toujours plus agréable à lire, même si ça ne fait pas tout.
En ce qui concerne l’écriture, les auteurs anglo-saxons avec qui j’ai pu bosser jusqu’ici sont beaucoup plus rompus à l’exercice. Même s’ils sont passionnés, ils n’oublient pas que c’est leur métier. Un exemple : un auteur anglo-saxon m’a déjà rendu un séquencier de court en une journée pour répondre à une deadline serrée. Aussi, ils savent lire des notes et apporter les changements correspondants dans le scénario de manière efficace. Les auteurs francophones que j’ai vus capable de faire pareil sont soit très rodés ou ont une approche du travail plus anglo-saxonne. Pour les autres, ça reste plus artisanal. On prend le temps de faire les choses bien. Il n’y a rien de mal à cela et les deux méthodes fonctionnent, tant qu’on arrive à un bon résultat. Mais si on est soumis à une deadline, cela peut être problématique.
Enfin, pour la lecture, je me suis prise une énorme claque en commençant la NFTS qui nous réapprend les bases de la lecture. Pour eux, il est hors de question de se la jouer, de se la raconter dans une fiche de lecture ou des notes de développement. Si vous rendez un report ou un coverage dans lequel vous ne faites que critiquer le travail de l’auteur, honte à vous. Le langage employé est très important également. Tout ce qui peut aliéner un auteur doit être gommé. Vous ne serez pas considéré comme professionnel. On a passé énormément de temps sur le choix du vocabulaire. On travaille sur la manière de présenter les choses. Chaque phrase posée doit avoir une raison d’être. Les doubles ou triples sens de chacune de nos déclarations sont décortiquées. Chaque phrase que vous écrivez doit servir à l’auteur, sinon on peut s’en passer.
La plus grosse différence est que chez les anglo-saxons, tout est dans la concision. Moins vous en dites, plus vous êtes précis, au plus vous serez considérés comme professionnel. Une fiche de lecture, synopsis compris, n’a pas à dépasser 4 pages. La technique d’analyse anglo-saxonne est très précise et, plus on la maîtrise, plus on apprécie son efficacité. Il n’est pas nécessaire non plus d’aller au-delà de 10 pages pour des notes de développement.
On est aussi rééduqué quant à notre rapport avec l’auteur. Et celui-ci est également disséqué psychologiquement afin que l’on comprenne ce qu’il traverse à toutes les étapes du développement. Car je le redis, l’auteur est notre boulot. C’est lui qu’on sert et qu’on protège. C’est lui qu’on défend à travers son histoire.
J’ai eu la chance de lire une fiche de deux pages d’un script editor britannique qui a plus de 20 ans de métier. Je n’ai jamais rien lu d’aussi dense, précis et concis à la fois.
Une fois ta formation terminée, quel serait ton job idéal, et où ?
J’ai quelques projets qui, je l’espère, prendront forme le moment venu. Cela va faire 3 ans que je travaille en développement. Et j’ai déjà eu des opportunités que je ne pensais pas avoir tout de suite. Il y a 3 maisons internationales pour lesquelles j’aimerais bien travailler comme développeuse. On verra. Ce qui est certain, c’est que je compte travailler principalement comme script editor. Je continue de me former et d’apprendre mon métier car pour moi, à l’heure actuelle, il n’y a rien de mieux sur terre.
Propos recueillis par Anna Marmiesse