Les fiches de lecture à l’honneur #10 : Cannes 2021 !
Mardi 6 juillet, s’est ouvert le Festival de Cannes 2021, où des films venus du monde entier ont retrouvé le chemin des écrans. Parmi eux, certains dont les membres de Lecteurs Anonymes ont eu le privilège de lire les scénarios.
Voici un florilège de fiches de lecture de films présentés à Cannes cette année.
BERGMAN ISLAND
Un scénario de Mia Hansen-Løve
(Sélection officielle – Compétition)
SYNOPSIS
Un couple de cinéastes s’installe pour écrire, le temps d’un été, sur l’île suédoise de Fårö, où vécut Bergman. A mesure que leurs scénarios respectifs avancent, et au contact des paysages sauvages de l’île, la frontière entre fiction et réalité se brouille…
L’AVIS DES LECTEURS
En apparence d’une simplicité désarmante (des « scènes de la vie conjugale » sur une île suédoise), le projet est extrêmement riche. Il y a plusieurs niveaux de lecture. D’une part, le jeu de piste bergmanien : en visitant l’île chère au maître suédois, le film accumule les clins d’œil à son œuvre et les commentaires sur ses longs-métrages. On ne peut s’empêcher de dresser des parallèles entre les héros et héroïnes bergmaniens et les protagonistes de ce film, qui ont parfois conscience d’être des nains à l’échelle des drames que vivent les héros d’Ingmar. D’autre part, l’aspect éminemment méta du projet. On est constamment en train de devoir se positionner par rapport à la réalité et la fiction : qu’est-ce qui relève des personnages, qu’est-ce qui relève de l’héritage de Bergman, et enfin qu’est-ce qui relève de Mia Hansen-Løve elle-même, qui renoue ici avec ses origines scandinaves.
TOUT S’EST BIEN PASSÉ
Un scénario de François Ozon
(Sélection officielle – Compétition)
SYNOPSIS
A 85 ans, le père d’Emmanuèle est hospitalisé après un accident vasculaire cérébral. Quand il se réveille, diminué et dépendant, cet homme curieux de tout, aimant passionnément la vie, demande à sa fille de l’aider à mourir.
L’AVIS DES LECTEURS
L’enjeu du film est d’une simplicité folle : un père malade demande à sa fille de l’aider à mourir. Dès lors, des questions se posent : Comment réagir ? Comment accepter cette décision ? Faut-il accéder à chaque demande ? Des questions simples et fortes auxquelles on peut s’identifier sans peine. Il y a une vraie universalité car tout le monde sera un jour confronté à la mort, celle de ses proches, de ses parents, un jour la sienne.
De plus, le film a une certaine ambigüité car le personnage d’André n’est pas à l’article de la mort. Il est malade, mais pas totalement incapacité comme l’était par exemple le protagoniste polyhandicapé de Mar Adentro. Cela rend son choix encore plus troublant et le dilemme de ses proches encore plus fort. Le film a également le mérite d’aborder cette question sous un angle très concret. Et d’être en plein dans un questionnement pertinent, la France étant encore à la traîne d’autres pays européens sur cette question.
ALINE
Un scénario de Valérie Lemercier et Brigitte Buc
(Sélection officielle – Hors compétition)
SYNOPSIS
Québec, fin des années 60, Sylvette et Angomard accueillent leur 14ème enfant : Aline. Dans la famille Dieu, la musique est reine et quand Aline grandit on lui découvre un don, elle a une voix en or. Lorsqu’il entend cette voix, le producteur de musique Guy-Claude n’a plus qu’une idée en tête : faire d’Aline la plus grande chanteuse du monde.
L’AVIS DES LECTEURS
Le parcours de Céline Dion est étonnant. Petite gamine québécoise disgracieuse, elle va peu à peu se muer en grande diva internationale, tout en gardant toute sa vie un pied dans le « bizarre ». C’est une vie étonnante qui nous renvoie à des souvenirs nostalgiques : ses tubes avec Jean-Jacques Goldman, Titanic, les tabloïds… Une vie bien remplie, vraiment étrange et imprévisible.
Le film assume de suivre ce drôle de conte de fées à travers un ton décalé et quasiment parodique. La ligne du film est constamment imprévisible, naviguant entre l’imagerie d’Epinal gaguesque, l’humour absurde, des moments chantés purs et émouvants, des incursions dans le méta… On ne sait jamais sur quel pied danser et c’est assez exaltant. Surtout que l’humour du film se permet tout, avec des touches d’étrangeté comme la phase où Aline doit rester muette pour préserver ses cordes vocales, ou bien cet interlude ubuesque où les sosies d’Elvis à Las Vegas la prennent pour une sosie d’Aline Dieu. Bref, c’est extrêmement décalé et libre.
BAC NORD
Un scénario d’Audrey Diwan, Cédric Jimenez et Benjamin Charbit
(Sélection officielle – Hors compétition)
SYNOPSIS
2012. Les quartiers Nord de Marseille détiennent un triste record : la zone au taux de criminalité le plus élevé de France. Poussée par sa hiérarchie, la BAC Nord, brigade de terrain, cherche sans cesse à améliorer ses résultats. Dans un secteur à haut risque, les flics adaptent leurs méthodes franchissant parfois la ligne jaune. Jusqu’au jour où le système judiciaire se retourne contre eux…
L’AVIS DES LECTEURS
Le scénario est bien documenté. C’est une vraie plongée dans les coulisses de la BAC, loin du tumulte médiatique, au plus près du terrain. Le script regorge de petits détails, de petites phrases, qui font vrai. C’est très prenant et immersif. La vision apocalyptique de cités gangrénées par le crime est contrebalancée par un aperçu sans fard de l’injustice et de la misère sociale, où on voit que les premières victimes de l’insécurité sont les habitants des HLM eux-mêmes.
OSS 117 : ALERTE ROUGE EN AFRIQUE NOIRE
Un scénario de Jean-François Halin et Jean Buce
(Sélection officielle – Hors-compétition)
SYNOPSIS
1981. Hubert Bonisseur de la Bath, alias OSS 117, est de retour. Pour cette nouvelle mission, plus périlleuse que jamais, il est contraint de faire équipe avec un jeune collègue, le prometteur OSS 1001.
L’AVIS DES LECTEURS
Ce nouveau volet reprend les ingrédients classiques de la saga : décor exotique, parodie de film d’espionnage… Mais il injecte de la nouveauté en le situant dans un passé plus proche, ici les années 80, et en traitant d’un sujet vaguement plus actuel que les Nazis : la Françafrique.
Le projet a une sensation de modernité plus poussée, d’autant plus qu’il parle de manière assez frontale de clichés raciaux dont la dénonciation est un sujet très en vogue.
OÙ EST ANNE FRANK !
Un scénario d’Ari Folman
(Sélection officielle – Hors-compétition)
SYNOPSIS
Kitty, l’amie imaginaire d’Anne Frank, à qui était dédié le célèbre journal, a mystérieusement pris vie de nos jours dans la maison où s’était réfugiée Anne et sa famille, à Amsterdam.
L’AVIS DES LECTEURS
Une proposition très originale autour d’une œuvre maintes fois commentée et adaptée (y compris en film d’animation dans les années 90). En situant l’intrigue sur deux époques, le film sort de l’adaptation classique et se rend d’autant plus pertinent pour aujourd’hui. Le scénario s’adresse à un public assez large, divertissant et instructif pour les enfants, original et percutant pour les adultes.
ROBUSTE
Un scénario de Constance Meyer
(Semaine de la critique – Film d’ouverture)
SYNOPSIS
Lorsque son bras droit et seul compagnon doit s’absenter pendant plusieurs semaines, Georges, star de cinéma vieillissante, se voit attribuer une remplaçante, Aïssa. Entre l’acteur désabusé et la jeune agente de sécurité, un lien unique va se nouer.
L’AVIS DES LECTEURS
On ne peut dénier au film un charme véritable, et une grande habileté dans la conduite du trajet que les deux personnages effectuent l’un par rapport à l’autre. Cette relation progresse de façon subtile, dans une évolution fine, grâce à des scènes toujours très justes. C’est cette qualité d’émotion, et le sentiment que l’auteure a réellement compris le personnage-Depardieu, qui finit par emporter le morceau.
CETTE MUSIQUE NE JOUE POUR PERSONNE
Un scénario de Samuel Benchetrit et Gabor Rassov
(Cannes première)
SYNOPSIS
Dans une ville portuaire, des êtres isolés, habitués à la violence, vont soudain voir leurs vies bouleversées par le théâtre, la poésie et l’art. Et leurs quotidiens, transformés par l’amour…
L’AVIS DES LECTEURS
Une tonalité de comédie noire et absurde, singulière, dans l’esprit des films précédents de l’auteur.
Certains épisodes sont poétiques (« l’histoire dans l’histoire » autour du malheureux Eric Lamb), cocasses (la comédie musicale sur Sartre et Beauvoir) ou touchants (le triangle amoureux à la Cyrano de Bergerac entre Jeff, Neptune et la caissière). Le scénario fourmille d’idées, c’est très inventif.
SERRE-MOI FORT
Un scénario de Mathieu Amalric
(Cannes première)
SYNOPSIS
Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va.
L’AVIS DES LECTEURS
Le film a un sujet de façade et un sujet de fond. Tous deux sont universels. Disparaître, laisser derrière soi tout ce qu’on a construit et qui s’est insensiblement métamorphosé en prison. Croire, ne serait-ce qu’un instant, qu’une autre vie est possible. Changer de décor, devenir quelqu’un d’autre, se donner l’illusion d’une seconde naissance, d’une résurrection. Ce fantasme est certainement présent en chacun de nous. A ce sujet, le film fait preuve d’une grande honnêteté en se situant non du côté du fantasme (comme le font au passage les James Bond et les Jason Bourne en vous faisant croire qu’il existe des endroits, souvent paradisiaques, où personne ne peut vous retrouver), mais du côté de la douleur : la réalisation de ce rêve de disparition se paie immédiatement : manque, déracinement, culpabilité, perdition…
BONNE MÈRE
Un scénario de Hafsia Herzi
(Un certain regard)
SYNOPSIS
Nora, la cinquantaine, femme de ménage, veille sur sa petite famille dans une cité des quartiers nord de Marseille. Après une longue période de chômage, un soir de mauvaise inspiration, son fils aîné Ellyes s’est fourvoyé dans le braquage d’une station-service. Incarcéré depuis plusieurs mois, il attend son procès avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. Nora fait tout pour lui rendre cette attente la moins insupportable possible.
L’AVIS DES LECTEURS
Il y a un vrai univers que le scénario fait exister, une authenticité indéniable et une énergie très séduisante. Les choix des personnages est assez original, avec une protagoniste d’une soixantaine d’années (âge que l’on voit rarement au cinéma dans le rôle principal, surtout pour une femme), et des personnages féminins forts. Le récit a des enjeux multiples et ne se contente pas d’un plat réalisme.