Les fiches de lecture à l’honneur #9 : Cannes 2019 !

14 mai 2019Lecteurs Anonymes

Le 72e Festival de Cannes commence aujourd’hui. Des dizaines de films du monde entier s’apprêtent à y être dévoilés en avant-première mondiale. Parmi eux, certains dont les membres de Lecteurs Anonymes ont eu le privilège de lire les scénarios.
A travers des extraits de fiches de lecture, un petit avant-goût de ce qui nous attend sur la Croisette…

LE DAIM
Un scénario de Quentin Dupieux
(Quinzaine des Réalisateurs – Ouverture)

SYNOPSIS
Guy est amoureux de son blouson en daim. Il ambitionne même de devenir le seul homme sur Terre à porter un blouson.

L’AVIS DES LECTEURS
Le film commence comme une adaptation du Manteau de Gogol et, dans une certaine mesure, suit l’écrivain russe dans son goût de l’absurde, de l’humour noir, du pathétique et du grotesque.

Pour cette fable macabre et non-sensique, l’auteur a fait le choix d’un protagoniste peu aimable : ignorant, sans compétences, amoureux d’un blouson, bref, complètement con. C’est audacieux, même si ce n’est pas toujours facile d’entrer en empathie avec lui. Mais le personnage de Guy est bien servi par des dialogues particulièrement drôles, riche en cynisme et, parfaits pour véhiculer sa mauvaise foi. La négociation avec le vendeur du blouson est une excellente scène, où le dialogue, abondant, se résume tout entier à un conflit absurde et néanmoins tendu.

PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU
Un scénario de Céline Sciamma
(Sélection officielle – Compétition)

SYNOPSIS
Une île de Bretagne en 1760. Une femme doit en peindre une autre à son insu. Le portrait a vocation à marier le modèle. La peintre va découvrir dans son modèle une jeune femme passionnée qui vit ses premiers et ses derniers moments de liberté…

L’AVIS DES LECTEURS
Un très beau drame romantique, huis clos au récit simple et doux. C’est une histoire d’amour que l’on sait d’avance impossible mais à laquelle on croit et qui nous émeut.
L’écriture du scénario est très évocatrice, qui laisse entrevoir la mise en scène, les cadres, les lumières. Il s’en dégage une aura mystérieuse, presque fantastique.
On peut à certains moments regretter un certain déséquilibre de point de vue : on est entièrement avec Marianne la peintre et, même si c’est assumé, Héloïse reste une figure un peu distante.

Le projet est aussi un commentaire, jamais asséné ou lourd, sur la condition féminine, jusque dans ses manifestations physiques.
Les intentions de mise en scène de Céline Sciamma sont cohérentes et convaincantes. On s’imagine un film fiévreux mais pudique (ou l’inverse) qui prolonge l’œuvre de la cinéaste tout en élargissant son horizon.

UNE VIE CACHÉE
Un scénario de Terrence Malick
(Sélection officielle – Compétition)

SYNOPSIS
Durant la Seconde guerre mondiale en Autriche, l’histoire vraie d’un objecteur de conscience catholique qui refusera de prêter allégeance à Hitler.

L’AVIS DES LECTEURS
Ce projet est difficile à juger sur papier tant les films de Terrence Malick sont des œuvres fluides, constamment réécrites au tournage et au montage.
Ce qu’on retient de prime abord, c’est la thématique universelle et toujours perturbante de la difficile opposition à un pouvoir totalitaire, ici dans son incarnation la plus extrême, le nazisme.

Le personnage de Franz est assez fascinant. Cet objecteur de conscience s’arc-boute sur son opposition de principe au mal que représente Hitler. Mais il va tellement loin dans la défense de ses idéaux qu’il en devient absolutiste et donc étonnant. Il y a un côté « bloc » chez lui, sans concessions, qui rend le personnage troublant, inquiétant, et finalement assez peu angélique.

Par contre, le choix du sujet, qui confronte la foi et la spiritualité au nazisme, donne une impression de prosélytisme et de « point Godwin » permanent. D’autant plus que le script est parfois légèrement moralisateur et illustratif : on pense par exemple à cette introduction hors-sol montrant l’homme qui avait stoppé les chars chinois sur la place Tiananmen en 1989…

ZOMBI CHILD
Un scénario de Bertrand Bonello
(Quinzaine des Réalisateurs)

SYNOPSIS
Haïti, 1962. Un homme est ramené d’entre les morts pour être envoyé de force dans l’enfer des plantations de canne à sucre.
55 ans plus tard, au prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur à Paris, une adolescente haïtienne confie à ses nouvelles amies le secret qui hante sa famille.
Elle est loin de se douter que ces mystères vont persuader l’une d’entre elles, en proie à un chagrin d’amour, à commettre l’irréparable.

L’AVIS DES LECTEURS
Le projet est bâti autour d’un sujet alléchant (le vaudou, d’ailleurs traité conformément à sa représentation traditionnelle), et d’une thématique fuyante mais forte (la relation entre les vivants et les morts). La structure, empruntée aux Saisons de la nuit de Colum McCann, est prometteuse : d’abord, les incursions dans l’Haïti nocturne et mystérieuse constituent des pauses bienvenues dans le récit contemporain ; ensuite on ne peut que se demander comment les deux époques vont entrer en relation – comment le vaudou va-t-il faire irruption dans la trame contemporaine de l’intrigue ?

Le film procède volontiers par petits électrochocs parfois gratuits, mais qui ont un effet immédiat sur le spectateur, même quand il s’agit de fausses pistes.

L’intrigue tient très peu de place dans le film, l’auteur préférant s’en remettre, soit à des improvisations avec les jeunes filles, soit à des séquences « poétiques », oniriques, « purement optiques et sonores » (pour parler comme Deleuze), bref qui soient plus de l’ordre du sensoriel que du narratif. De fait, le film captive moins par son intrigue que par son charme mystique, principalement grâce au champ thématique du vaudou.

LA BELLE ÉPOQUE
Un scénario de Nicolas Bedos
(Sélection officielle – Hors-compétition)

SYNOPSIS
Un homme divorcé se paie une « reconstitution » de ses jeunes années et tombe amoureux de l’actrice qui incarne sa femme.

L’AVIS DES LECTEURS
Un film d’amour en poupées gigognes qui mêle le passé, le présent, le réel et l’imaginaire.
C’est un projet ambitieux, dans la lignée de M. et Mme Adelman, le premier long de Nicolas Bedos. Même goût pour l’enchevêtrement temporel, la non-fiabilité du récit, la nostalgie des seventies… Mais l’humoriste passé réalisateur pousse les curseurs encore plus loin avec ce récit particulièrement méta où moult niveaux de lecture se mêlent.

Le concept est bon. Cette entreprise qui reproduit le passé des gens est une idée géniale, riche en possibilités narratives. On peut sans peine imaginer tout un tas de situations savoureuses et on se surprend à imaginer soi-même ce qu’on demanderait si une telle société existait.

Le film est très riche et c’est véritablement la vision d’un auteur. C’est un récit touffu et plein d’embranchements, clairement très personnel . Le début notamment, qui mêle de nombreuses temporalités, en devient presque proustien. On sent Nicolas Bedos en totale liberté, il s’amuse, il essaie de tout mettre dans son film.

Le scénariste va parfois trop loin dans l’enchevêtrement narratif, ce qui rend l’ensemble parfois un peu lourd. Mais le projet a le mérite d’être personnel, avec un potentiel indubitable.

IT MUST BE HEAVEN
Un scénario de Elia Suleiman
(Sélection officielle – Compétition)

SYNOPSIS
ES fuit la Palestine à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d’une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l’absurde. Aussi loin qu’il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie.

L’AVIS DES LECTEURS
Cette comédie autobiographique à la Jacques Tati est dans la droite lignée d’Intervention divine, le premier grand succès d’Elia Suleiman. Une fois de plus il se met en scène, cette fois dans son propre rôle, en tant que témoin muet d’un monde absurde.

Ce projet est à la fois facile et difficile à critiquer. Facile car il est long et dénué d’intrigue ; difficile car il est tellement assumé qu’il offre peu de prise à une grille de lecture classique. En effet, le film est tellement idiosyncratique dans son humour, sa mise en scène, son ton, le regard globuleux de son héros, qu’il pourrait pour certains générer un rejet brutal. D’autres, au contraire, pourraient être totalement conquis, comme ils le furent pour les films d’Antonin Peretjatko, par exemple, qui n’avaient rien de facile sur le papier.

Le film ne consiste à 80% que d’une suite de situations comiques absurdes. On va de tableau en tableau, Elia Suleiman étant l’observateur (quasi-)silencieux de ce spectacle humoristique qu’est la vie. C’est un humour à froid, extrêmement absurde, qui s’autorise un cheval garé devant un parcmètre, une conférence où tout le monde n’applaudit que d’un seul clappement de main, ou encore trois flics français en état d’alerte car on a jeté un mégot par terre.

Le héros, ES, acronyme bien évidemment d’Elia Suleiman (et bien sûr destiné à être interprété par lui), est un réalisateur palestinien qui prépare une comédie sur le Moyen-Orient. Mais comme par hasard, le producteur français lui reproche que son film ne parle pas assez du conflit israëlo-palestinien. Bien vu, car en désamorçant ainsi une critique potentielle qu’on pourrait adresser au film, le réalisateur retourne contre nous, observateurs, notre obsession pour ce conflit.

PERDRIX
Un scénario de Erwan le Duc
(Quinzaine des Réalisateurs)

SYNOPSIS
Pierre Perdrix vit des jours agités depuis l’irruption dans son existence de l’insaisissable Juliette Webb. Comme une tornade, elle va semer le désir et le désordre dans son univers et celui de sa famille, obligeant chacun à redéfinir ses frontières, et à se mettre enfin à vivre.

L’AVIS DES LECTEURS
Un scénario de comédie fort sympathique, avec des intentions intéressantes. La construction de l’enquête est plutôt bonne et se mêle bien à l’intrigue plus intime et sentimentale.

Les principales qualités du projet, ce sont des dialogues assez brillants dans le registre de l’absurde ou de l’exagération, et une prédilection pour l’unité-scène. On rend grâce à l’auteur de proposer une comédie sensible, intelligente et souvent inattendue, dans un registre bien éloigné de la médiocrité que le genre nous inflige chaque mercredi.

Si la fantaisie ambiante rend parfois le récit un peu artificiel, et qu’on décèle par moments une complaisance qui incite l’auteur à s’offrir une saynète charmante au détriment de la logique de l’action, on reste néanmoins sur une impression positive. Le scénario témoigne d’un indéniable talent, et on ne peut que se réjouir de voir la comédie emprunter d’autres voies que celles du high-concept facile ou de la satire sociologique de bas étage.

SIBYL
Un scénario de Justine Triet et Arthur Harari
(Sélection officielle – Compétition)

SYNOPSIS
Sibyl est une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot, une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir…

L’AVIS DES LECTEURS
Un scénario au ton de comédie décalée, dans la lignée des précédents films de l’auteure. Les dialogues et les situations sont souvent drôles. Il y a tout une dimension de satire – du milieu intellectuel parisien, du monde du cinéma, qui est très plaisante.
L’auteure propose des portraits de personnages féminins hauts en couleur et touchants à la fois car hantés par des souvenirs, des fantômes (histoire d’amour, relations familiales, alcool) qui ne les lâchent pas. Sur un ton de « dramédie » qui n’empêche d’être sérieux quand il le faut, le film explore aussi la question du rapport des femmes à leur corps et à la maternité sans misérabilisme ni jugement.
Le scénario est bien rythmé, on ne s’ennuie pas, on a envie de suivre les personnages, leur côté imprévisible est très agréable.

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